sylvie kaptur gintz |

sutures //

Galerie Charlotte Norbert // Commissariat : Marie Deparis-Yafil // Paris - 2011

vue de l'exposition

photo Benoît Moyen Détail "Port-Royal", Sylvie Kaptur Gintz - 2011

Dossier de presse de l'exposition

Galerie Charlotte Norberg sur une proposition de Marie Deparis-Yafil
Exposition du 1 au 24 septembre 2011

photo Benoît Moyen Détail "Port-Royal", Sylvie Kaptur Gintz - 2011

Les artistes //

Vanessa Fanuele /Faye Formisano / Naji Kamouche / Sylvie Kaptur Gintz / Sandra Krasker / Mai Tabakian / Brankica Zilovic

L’histoire de « Sutures » commence avec la rencontre, au cours de ces derniers mois, de plusieurs artistes travaillant autour du fil, du textile, de la couture ou de la broderie, dans des manières chaque fois différentes. Ces rencontres ravivent alors mon intérêt de toujours pour le textile, ayant eu à plusieurs reprises l’occasion de travailler autour de son utilisation dans la création artistique, notamment, en 2009, avec « Seconde peau, seconde vie »*, dans laquelle une partie de l’exposition se penchait sur la récupération ou le détournement par les artistes contemporains de la matière textile.

En analysant l’arrière-fond émotionnel des travaux de ces artistes, se fait peu à peu jour l’évidence de points communs entre ces œuvres, les univers qu’ils nourrissent, fussent-ils en apparence peu semblables. Au-delà du regain d’intérêt de la création contemporaine pour la broderie, le fil, le tissu ou le vêtement, dans une sorte de revival Arts & Crafts, les thèmes de la blessure et de la tentative de réparation, du tissu qui protège et rassure, de la couture comme une manière de (r)accommoder le drame, du fil qui se tisse ou se tend au travers des souvenirs ou de la mémoire, bref, de la puissance hautement évocatrice du textile apparaissent comme récurrents.

L’idée de « Sutures » est née. Terme éminemment médical et puissant, pour dire la force avec laquelle chacun recoud ses souffrances aux points de suture, comment chacun des artistes choisis parle de résistance, de survivance, de résilience. D’être et rester vivant.

En analysant l’arrière-fond émotionnel des travaux de ces artistes, se fait peu à peu jour l’évidence de points communs entre ces œuvres, les univers qu’ils nourrissent, fussent-ils en apparence peu semblables. Au-delà du regain d’intérêt de la création contemporaine pour la broderie, le fil, le tissu ou le vêtement, dans une sorte de revival Arts & Crafts, les thèmes de la blessure et de la tentative de réparation, du tissu qui protège et rassure, de la couture comme une manière de (r)accommoder le drame, du fil qui se tisse ou se tend au travers des souvenirs ou de la mémoire, bref, de la puissance hautement évocatrice du textile apparaissent comme récurrents.

" Sutures " s’organise ainsi autour de trois axes. Elle rassemble des travaux récents d’artistes qui, pour certains, ont jusqu’aujourd’hui peu eu l’occasion de montrer leur travail. Puis, tout ces artistes (ou presque) ont en commun d’avoir développé, de manière occasionnelle ou récurrente, un travail autour de ces variations sur le fil. Enfin, chacun évoque, par ce biais ou d’autres, ces thèmes de la blessure et la réparation.

Si souvent ressort de ces travaux la part d’autobiographie auquel un tel sujet invite, il n’y a pourtant pas de doute que ce propos touche dans le même temps à quelque chose de l’ordre de l’universel. Tous, et d’autant plus par la création, nous travaillons sans relâche à cicatriser nos mémoires et suturer les plaies de nos vécus.

La « suture » est chirurgicale et, bien entendu, évoque d’abord le corps et son organicité. Ainsi, les dessins de Sandra Krasker, qui exprime avec puissance et subtilité ce besoin de sentir les palpitations de la vie, le sang qui coule dans les veines, la chair dans son dénuement, sa fragilité concrète, sa complexité aussi, bref, tout ce qui donne sa valeur intrinsèque et inaliénable à l’humain, à l’heure où le cynisme l’emporte parfois sur la vie. Se joue là une proximité avec ce que Paul Ricoeur définissait comme mouvement dialectique de « brisuresuture » dans ce « paradoxe de la chair » qui à la fois, permet par l’incarnation du cogito, d’exister au sens propre, mais qui dans le même temps condamne à la souffrance et à la finitude par la chair, sans se limiter à elle.**

Chez Mai Tabakian s’inscrit la double fonction du tissu qui protège et répare, et le geste de l’artiste qui fabrique -revit- la blessure, la soigne, la colmate, rend lisse ce qui fut déchiré, « comble le vide et dénoue le silence » pour reprendre ses mots.

Les œuvres de Sylvie Kaptur-Gintz , illustrent de manière poignante cette sorte de dualité soulignée par Ricœur, tant dans cette robe qui soutient, masque, soigne les blessures et les faiblesses d’une femme mère, femme protectrice, qui panse les petites et grandes blessures, et pense, aussi, ses propres blessures, ses douleurs, que dans la série des « 100/fil » évoquant les maux et les mots du corps, sa fragilité et la force qu’il déploie, et que dans la cure nous lui imposons, pour se conserver. Le vivant y apparaît dans sa perpétuelle oscillation entre souffrance et douceur de l’apaisement.


"Port Royal" et "100/Fil" - exposition Sutures Galerie Charlotte Norbert - photo Axel Tissandier

Mais c’est sans doute davantage encore dans l’histoire et la mémoire individuelle, que les notions de blessure et de réparation, dans leurs dimensions existentielles, se font cruciales.

Faye Formisano raconte ainsi l’histoire de « Beach Noise » comme une histoire de blessure profonde, celle du deuil, et le projet chorégraphique comme un geste de réparation, matérialisé par cet impressionnant travail de couture, d’habitation, d’incarnation, et de mémoire. Les « Espaces autres » de Vanessa Fanuele sont ces espaces intérieurs absurdement bouleversés, déchirements dans les strates de la mémoire, en rupture de temporalité linéaire, ce sont ces "boursouflures" du passé faisant irruption dans le présent, hétérotopie du temps qui s'accumule à l'infini, hétérotopie dans laquelle « le temps ne cesse de s'amonceler et de se jucher au sommet de lui-même »***. Enfin, l’œuvre « Fuir », de Naji Kamouche , manifeste avec grâce et puissance émotionnelle ce que raccommoder, réparer les blessures peut vouloir dire. Contre l’entropie de la mort, rien n’est moins une vue de l’esprit que la nécessité de l’action, du combat, plutôt que l’aliénation. Et Naji de choisir les images et les mots, plus frappants que les armes.

L’Histoire du monde n’est-elle pas aussi est un vaste jeu de déchirements de ruptures et de sutures ? Les « Espaces autres » de Vanessa Fanuele le montrent, dans la mesure de cette temporalité historique qui fonctionne de manière tectonique. C’est aussi là la vision développée, avec ampleur par Brankica Zilovic . Elle livre ici une vision du monde, poétique et violent à la fois, un monde dont elle fait apparaître les tensions, les dislocations, les sutures parfois brutales, dans ses frontières arbitraires, ses paix extorquées, ses territoires spoliés…et dans lequel la globalisation ne fait jamais qu’advenir un supercontinent « super fragile », au risque de la désintégration, de la liquéfaction. Un monde à la dérive.

Dans cette exposition et avec ces sept artistes, je me suis efforcée de penser par suture, tentant de rapprocher des territoires, de produire des ponts et du lien entre des univers et des histoires qui, sous des dehors hétérogènes, sont mus par de semblables préoccupations et la même nécessité.

* « Seconde peau, seconde vie » - 11 mars/12 avril 2009- Salle d’exposition – Ville de Guyancourt- En co-commissariat avec Isabelle Vernhes

**Paul Ricœur et le paradoxe de la chair – David Le Duc-Tiaha- Ed l’Harmattan

***Michel Foucault - Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49

Marie Deparis-Yafil Commissaire de l'exposition

article sur l'exposition

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